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Pour un vrai cours de philosophie dans le secondaire

Ce jeudi 12 mars 2015, la Cour constitutionnelle a rendu un Arrêt qui fera date : plus que probablement, l’année prochaine, les cours de morale et de religions deviendront facultatifs dans toutes les écoles primaires et secondaires du réseau officiel. Parallèlement, et conformément à l’accord du gouvernement FWB, la Ministre de l’enseignement prépare l’introduction d’un « cours de citoyenneté » : il s’agirait de transmettre aux élèves un ensemble de « valeurs fondamentales », véritablement « communes », et de garantir ainsi le « vivre ensemble ». On ne peut qu’être sceptique face à l’idée d’un cours de citoyenneté censé résoudre à la fois les problèmes de politesse, l’absence d’esprit critique, la perte du lien social, le déclin de la démocratie, la radicalisation religieuse, la méconnaissance respective des traditions culturelles… Ce qui est sûr, c’est qu’il est pour le moins inquiétant de voir resurgir une conception « moralisante » de l’enseignement, qui aurait ainsi pour mission « d’éduquer » les plus jeunes en fonction de « nos » valeurs – les seules, bien sûr, à être fondamentales et indiscutables. Face à ce projet, nous demandons que la citoyenneté soit conçue comme un apprentissage de la réflexion critique sur les valeurs, les raisonnements, mais aussi les institutions et les règles juridiques qui soutiennent nos jugements et nos prises de position politiques. En clair : dans une perspective démocratique, apprendre à problématiser toutes les normes, et à n’en tenir aucune pour évidente. À ce titre, c’est un véritable cours de philosophie qu’il s’agit – qu’il est urgent – de créer.

En Belgique, cette exigence est difficile à entendre, parce que « la philosophie » reste obscure aux yeux de beaucoup. On croit souvent qu’il s’agit d’un réservoir d’options spirituelles, au même titre que les religions. On choisirait d’être platonicien, kantien ou sartrien comme on est musulman, juif, bouddhiste ou chrétien. Rien n’est plus faux. La philosophie n’est pas affaire d’adhésion personnelle. Le geste premier de la philosophie, depuis Socrate et Platon au moins, est très exactement l’inverse : une rupture avec l’opinion, un pas de côté à l’égard de nos convictions les plus profondes, l’introduction d’un écart avec nos habitudes de pensée les plus évidentes. En ce sens, un cours de philosophie permettrait aux élèves de s’exercer à la prise de distance à l’égard d’eux-mêmes – de leurs cultures, de leurs coutumes, de leurs traditions, de leurs croyances. C’est à partir de ce recul critique que peuvent se construire de véritables engagements citoyens.

En 2007, l’agrégation en philosophie a été reconnue comme l’unique titre requis pour le cours de morale non-confessionnelle. Bon nombre de diplômés en philosophie pratiquent déjà, dans les limites du cours de morale (et parfois même dans d’autres cours), un cours de philosophie adapté aux différents publics qu’ils rencontrent. Nous savons que bien d’autres professeurs souhaiteraient être formés à l’histoire et à la conceptualité philosophiques. L’Arrêt de la Cour constitutionnelle offre la possibilité de poursuivre ces avancées relativement récentes. Nous plaidons pour que les enseignements rassemblés sous la désastreuse appellation de « cours philosophiques » laissent la place à un véritable cours de philosophie, tel qu’il en existe dans presque tous les pays européens. Un cours qui assume un exercice autonome de la pensée au contact d’une diversité de points de vue critiques et de prises de position argumentées, puisée dans l’histoire de la philosophie : penser par soi-même en apprenant à penser autrement, avec les autres.

On objectera que l’école doit être également un lieu où l’on apprend l’exercice de la démocratie et de la citoyenneté, et qu’il est temps d’offrir un enseignement rigoureux du fait religieux. On soulignera que ces exigences doivent être prises en compte au même titre que l’apprentissage de l’esprit critique. Sans aucun doute. Mais il ne faut pas vouloir tout faire en même temps, d’un coup, et d’une seule manière. La pratique de la citoyenneté ne requiert-elle pas quelque chose d’autre qu’un enseignement théorique, et qui dépasse l’organisation de moments de réflexion collective sur tel ou tel sujet de société ? Ne faudrait-il pas en faire une dimension essentielle de la vie concrète des élèves dans leur institution ? Un enseignement du fait religieux ne doit-il pas, pour être rigoureux, être dispensé en collégialité par des historiens, des philosophes, des sociologues et des politologues, sur la base d’une formation commune ?
Nous sommes en tout cas convaincus que l’Arrêt de la Cour présente une opportunité dont il faut se saisir : celle de donner enfin aux élèves de la Communauté française les outils philosophiques que nous sommes seuls, en Europe, à leur refuser encore. Car s’il s’agit bien de mettre au cœur de l’enseignement les enjeux de citoyenneté, c’est d’abord par une pensée vivante que nous y parviendrons, et non en l’éteignant sous de lénifiantes injonctions au civisme et à la moralité.

Signataires :

Thomas Berns, ULB
Louis Carré, ULB
Didier Debaise, FNRS/ULB
Marie-Geneviève Pinsart, ULB
Odile Gilon, ULB
Guy Haarscher, ULB
Quentin Landenne, ULB
Antonino Mazzù, ULB
Arnaud Pelletier, ULB
Juliette Simont, ULB

Anne Bardet, FUSL
Augustin Dumont, FUSL
Raphaël Gély, FUSL
Anaëlle Impe, FUSL
Sophie Klimis, FUSL
Martin Mees, FUSL
Isabelle Ost, FUSL
Natacha Pfeiffer, FUSL
Laurent Van Eynde, FUSL

Mylène Botbol-Baum, UCL
Sylvain Camilleri, UCL
Jean-Michel Counet, UCL
Isabelle Dagneaux, UCL
Bernard Feltz, UCL
Nathalie Frogneux, UCL
Gilbert Gérard, UCL
Axel Gosseries, UCL
Alexandre Guay, UCL
Jean-Sébastien Hardy, UCL
Maxime Lambrecht, Chaire Hoover/UCL
Jean Leclercq, UCL
Danielle Lories, UCL
Charlotte Luyckx, UCL
Marc Maesschalck, UCL
Hervé Pourtois, Chaire Hoover /UCL
Benoît Thirion, UCL
Pierre-Etienne Vandamme, FNRS/UCL

Sébastien Laoureux, FUNDP
Nicolas Monseu, FUNDP

François Beets, ULg
Thomas Bolmain, FNRS/ULg
Jessica Borotto, ULg
Laurence Bouquiaux, ULg
Florence Caeymaex, FNRS/ULg
Andrea Cavazzini, ULg
Grégory Cormann, ULg
Edouard Delruelle, ULg
Vinciane Despret, ULg
Arnaud Dewalque, ULg
François Dubuisson, ULg
Marc-Antoine Gavray, FNRS/ULg
Maud Hagelstein, FNRS/ULg
Anne Herla, ULg
Antoine Janvier, ULg
Bruno Leclercq, ULg
Guillaume Lejeune, FNRS/ULg
Eva Mancuso, FNRS/ULg
Hervé Oulc’hen, ULg
Julien Pieron, ULg
Rémi Rizzo, ULg
Bernard Smette, FNRS/ULg
Jonathan Soskin, ULg
Rudy Steinmetz, ULg
Sophie Wustefeld, ULg
Aurélien Zincq, FNRS/ULg

Stéphanie Bettens, prof de morale et de français à l’Athénée des Pagodes
Josepha Calcerano, prof de morale à l’AR de Visé
Noémie Cravatte, prof de morale
Martine Debraz, prof de français à l’AR de l’Air Pur à Seraing
Nathalie De Viron, prof de français à l’AR de Visé
Frédéric Dufoing, prof de morale
Gentiane Dupriez, prof de morale
Nicolas Enclin, prof de français à l’AR de Visé
Marine Manouvrier, prof de morale à l’AR Ganshoren
Vanessa Marisa, éducatrice à l’AR de Visé
Olivier Noyer, prof de morale
Philippe Rocco, prof de morale
Cécile Schleck, prof de morale à l’AR Lucie Dejardin
Huguette Tholet, prof de français et d’espagnol à l’AR de Visé
Carine Van Rymemam, prof de morale à l’AR Charles Rogier – Liège 1

Patricia Paternoster, inspectrice pédagogique de la ville de Liège

Josiane Wolff, présidente de Laïcité Brabant Wallon

Géraldine Brausch, Professeur de philosophie à la Haute-École Charlemagne
Vincent Furnelle, Maître assistant à la Haute-École Charlemagne
Anne Vrancken, Maître assistante à la Haute-École Charlemagne